Retour en France, Voyage intérieur

Archéologue sous la mer

Je me pose un instant dans mon lit, un livre entre les mains. Mon regard se lève et croise les yeux de cette jeune fille exposée partout sur les murs devant moi. Est-ce que cette fille va réellement devenir chercheure ? A-t-elle une tête de professeure d’université le nez dans les bouquins ?

12980681_10154117122448656_952766708_o.png

Elle exhibe un grand sourire, fait des grimaces, essaie de prendre la pose, arbore une moue enfantine, me fusille d’un regard ravageur. Elle est loin de l’image que j’ai des thésards… Elle porte tellement d’enthousiasme et de folie en elle, je l’imagine mal docteure dans une tenue ennuyeuse, le discours scolaire, mal assurée, comme une de ces futures consœurs dont j’ai écouté exposer sa recherche, il y a quelques jours. Une petite voix me dit que ça ne sera pas le cas, que c’est une étape parmi d’autres, un apprentissage de plus pour me rapprocher un peu plus du vrai chemin.

Puis soudain, mon cerveau m’envoie un souvenir lointain. J’ai environ 7 ans et je m’entends dire « Plus tard, je serai archéologue sous la mer ! ». J’ai 24 ans, et je me dis que j’en suis bien loin…

« Ah bon ? », quelque chose bouge en moi, m’interroge, et argumente :

Archéologue, chercher avec foi et détermination toutes ces choses qu’on ne voit pas, tous ces morceaux de l’histoire oubliés ou cachés. Lentement, mais avec assurance, dépoussiérer, remonter à la surface les trésors enfouis d’une civilisation, d’un peuple, de l’Homme. Chercher à savoir, à comprendre, se remettre en question sans cesse. Monter et démonter les paradigmes établis. Courir après la vérité.

La mer… l’eau. L’eau qui représente les émotions dans l’interprétation de nos rêves et de notre inconscient. Les émotions, le sujet que j’ai choisi pour réaliser ma thèse.

Puis, un autre souvenir vient couvrir le premier. Celui de mon tatoueur en Australie. « Ce symbole représente les filets de pêcheurs qui vont chercher au fond des mers tous les savoirs dissimulés pour les ramener à la surface et les partager avec le monde… »

Les liens se forment et le chemin s’éclaire. Des symboles inscrits sur la surface de ma peau comme une prophétie, des souvenirs qui s’entrechoquent dans les tréfonds de ma mémoire, un cœur qui se met à vibrer. Une petite lueur qui s’anime pour me dire « Tu es sur la bonne voie petite Enfant, continue. Tu es exactement celle que tu dois être, exactement à la place juste. » Alors c’est ça ? Est-ce précisément cette sensation que l’on doit ressentir lorsqu’on est dans le vrai ? Comment peut-on passer à côté ? C’est tellement fort. C’est tellement beau.

Quatre mois que je suis rentrée à Paris. J’ai du mal à le croire… C’est toujours pareil, où que l’on soit : les débuts nous semblent interminables, puis les semaines filent à une vitesse hallucinante. On se réveille et c’est le printemps. Les fleurs bourgeonnent, les arbres reprennent vie, le soleil nous honore de sa présence plus souvent et plus longtemps.

Il m’aura fallu du temps pour que résonne de nouveau en moi la beauté de cette ville. Comme tout au long de mon voyage, la dernière étape n’aura pas failli, les transitions d’un univers à un autre me sont difficiles, et j’ai vite fait d’être dans l’excès et le rejet instantané. Ce n’est pas exactement l’environnement le plus approprié pour que je m’épanouisse, pourtant j’arrive réellement à ressentir cette notion de bonheur intérieur, comme jamais auparavant. Je vais chercher ailleurs ce que la ville ne m’apporte pas.

Chaque jour est teinté d’une couleur, d’une cadence, d’une texture qui diffèrent du jour précédent. Le temps que se précise mon avenir, il me reste ces quelques longs mois à combler… Dans la panique des premiers mois, j’ai cherché à tout prix une raison à ce lapse de temps qui me semblait vain. Je n’ai cessé de me demander pourquoi me faire attendre quasiment une année de la sorte ? Dans quel but ? Que suis-je censée faire dans une situation pareille, où je dois être disponible pour constituer des dossiers d’inscription complexes pour diverses Universités au Québec et pour les entretiens à passer en pleine journée en raison du décalage horaire, dans l’incertitude la plus totale sur l’année à venir ? Pour quoi faire cette année supplémentaire ? Ai-je loupé le coche ? Un signe que je n’ai pas vu qui m’aurait dit que finalement je devrais être ailleurs ? D’un côté, mon projet de doctorat m’a pris deux mois rien que pour trouver les écoles et leur envoyer mon dossier et je dois me tenir prête pour la suite si je suis acceptée ; et de l’autre, j’ai ces journées, ces semaines d’attente où je vois le temps passer sans raison… Et si tout cela échoue, qu’aurais-je fait de ces longs mois ?

L’année dernière m’a révélé la beauté et l’intensité de ce Monde. Cette année va m’éduquer à une toute autre notion, celle du Temps. La vie t’offre des opportunités étonnantes, et lorsque j’ai cessé de me torturer avec cette envie obsessionnelle de remplir les lignes de mon CV, elle m’a envoyé des signes de toute part. Des inconnus qui mettent leur pierre à l’édifice de ma vie, des amis avec qui je crée des liens encore inexploités, des personnes qui révèlent mes parts d’ombre et éclairent tous ces espaces qui m’effraient en moi. La curiosité s’est ranimée, plus forte que jamais avec tout le temps nécessaire pour y céder allègrement. Mes semaines se remplissent peu à peu d’ateliers, de conférences, de salons, de rencontres, de discussion et de partage. Sans cesse ouvrir la voie des possibles, me remette en question, pousser l’investigation plus loin. Me demander à chaque nouvelle découverte, est-ce suffisant comme réponse ? Est-ce vraiment la source ? Est-ce que ça met un point final au questionnement ? Est-ce vraiment celle que je suis ? Suis-je aujourd’hui en pleine connaissance de celle que je suis ? La réponse est bien sûr toujours négative. J’explore sans fin les routes de ce voyage intérieur, en étant toujours aussi étonnée par ce qui j’y trouve. En quête de sens et de sensations. Ainsi, le bonheur a été de m’apercevoir que ce périple serait toujours rempli de beautés insoupçonnées et ne trouverait jamais sa fin.

Les personnes qui sont également intriguées par mes recherches intérieures viennent naturellement à moi, nous partageons nos ressentis, nos expériences, nos contradictions. A l’écoute de nos plus belles aventures, nos yeux brillent d’envie. Pour les autres, elles s’éloignent. Je ne les intéresse plus, l’ai-je un jour fait d’ailleurs… ? Je constate les mouvements de nos chemins de vie sans peine ni amertume. Les va-et-vient relationnels sont comme les courants de la marée, en perpétuel changement.

Les voyages s’ajoutent aux mois à venir. Sans nul doute, lorsqu’on a commencé, on ne peut plus s’arrêter. Je ressens un besoin pressant de retourner à la Nature, au creux des Montagnes, au cœur des Forêts, entendre les chants de l’Océan, et faire face à cette sensation indescriptible d’unité et d’infini. Dès que je le peux, je ferme les yeux et voyage de nouveau vers ces verdures tropicales que j’admirais en Australie, ces longues feuilles de palmier qui retombaient majestueuses, l’écorce rouge des arbres qui renfermaient les chants et les couleurs des perroquets, le vent qui venait cingler mes joues sur la plage de Byron Bay. Je revois les paysages glacés de la Nouvelle-Zélande, les lacs d’une couleur translucide qui reflétaient les montagnes blanchies par la neige d’où les cascades se reversaient, comme tombées du ciel. Je les ai imprimés en moi, de l’odeur des fleurs aux couleurs des couchers de soleil, de mes pieds sur le sable à mon cœur qui s’emballait lorsque je voyais un dauphin danser à quelques mètres de moi. Dans les mois qui viennent la Suisse, l’Ouest américain, l’Italie vont à leur tour venir s’inscrire dans ma mémoire.

Je suis rentrée avec cette force en moi qui est toujours présente, toujours aussi solide. Une force qui m’était inconnue jusqu’alors, avant mon départ. Je ne me connaissais pas cette faculté de ne plus douter de la vie. Cette puissance qui me pousse à poursuivre, à y croire, à ressentir ce bonheur dans chacune de mes cellules. Il y a comme quelque chose en moi qui irradie tout mon être intérieur de confiance, et qui n’a été ébranlé qu’une seule journée depuis quatre mois. Il y a des jours comme ça, quand le doute devient trop envahissant, il est quasiment nécessaire de craquer pour rebondir.

J’ai pris l’habitude de me regarder dans les yeux quand l’envie de pleurer me prenait. J’y vois la petite fille que j’étais, le regard ne trompe pas. J’y aperçois mes rêves, mes peurs, mes forces, mon innocence, ma gaieté, tout ce chemin parcouru. J’avais ces mêmes yeux à 10 ans, et j’aurai les mêmes à 70 ans. Ça me surprend à chaque fois, et ça me touche.

Le vert acidulé disparait peu à peu, au fur et à mesure que les larmes viennent l’inonder, pour laisser place à un bleu foncé qui annonce la tempête. Ça gronde, ça déborde de toute part, ça tremble. Le volcan se réveille dans ma poitrine. Je garde les yeux grands ouverts. Je vois les larmes tracer d’immenses torrents sur mes joues, se mêler à la couleur ocre de mon fond de teint. Mer et Terre. Je goute sur ma langue l’eau salée.

Je me demande ce que je fais là. Je sais que ce n’est pas ma place. Je ne suis pas d’ici. Je l’ai toujours su. Pourquoi me faut-il attendre ? Pourquoi me donner tout ce temps ? Y avait-il un dessein caché que je n’ai pas su voir ?

J’ai juste envie de partir.

Je respire, les pupilles fixes dans le miroir. J’aime ce bleu qui change de nuance dans mon regard, qui se meut au gré des vagues. Je me rappelle mon père qui me disait « Arrête de pleurer, tu es encore plus belle quand tu pleures… », ses deux mains entourant mon visage. Puis, je riais en séchant mes larmes. Encore aujourd’hui, mon sourire ne peut s’empêcher d’éclairer mon visage lorsque cette phrase resurgit mentalement. Il n’y a qu’un père pour vous dire des paroles aussi belles. Evidemment qu’après avoir entendu des mots pareils, je ne peux que chercher mon père dans chaque regard d’homme que je croise.

Autrefois, il m’arrivait de me regarder dans le miroir et d’y voir comme quelqu’un d’autre. Moi et quelqu’un d’autre. Aujourd’hui, tout ne forme qu’un. J’aime ce que j’y vois. J’aime ce sourire, j’aime ces yeux qui me sourient. J’aime cette personne qui me raconte le passé et le futur. Je suis aujourd’hui exactement la personne qu’il me fallait pour affronter le chemin à venir.

Les larmes ont toujours été mon arme, ma baguette magique, pour contrer la tristesse, l’angoisse, la peur. Relâcher toutes les tensions d’un coup et repartir du bon pied !

Depuis quelque temps j’ai fait place nette dans mon cœur. D’aussi loin que je m’en souvienne ces moments où personne ne réside ni dans ma tête ni dans mes tripes ont été rares, et pourtant ils sont d’une grande richesse. Un horizon dégagé à 360 degrés. Tout y est paisible, harmonieux, silencieux. Comme l’imposant monolithe Uluru qui surplombe le désert australien. Je ne peux pas réaliser les changements en moi en ayant l’esprit ailleurs, centré sur quelqu’un d’autre. Changer c’est une volonté qui demande de l’implication, de la vigilance, des prises de risques, du recul sur les événements, de la justesse et de la clairvoyance. Tout ce que je n’ai pas lorsque mon cœur s’emballe.

Toutes ces fois où j’ai insisté. Pourtant la vie semblait effectivement me dire « Tu n’es pas prête, tu vois bien que ça ne va pas marcher ! Bon, si tu y tiens... ». Puis finalement, après des mois de compromis, à renverser le problème dans tous les sens, à essayer de verrouiller toutes les issues, en vain ; une petite voix me chuchotait presque désolée « Tu ne peux pas dire que je ne te l’avais pas dit…« . J’ai déjà eu la chance incroyable d’être amoureuse comme peu de personnes auront l’occasion de le vivre. La vie m’a offert cette relation comme un cadeau et une épreuve à la fois. C’était il y a bien longtemps à présent, et pourtant j’en garde des souvenirs et des sensations très claires. Il faut laisser du temps au temps. Tout ce que j’ai voulu, je l’ai eu. Sauf la stabilité amoureuse. Cette année me rappelle à l’ordre sans cesse : oui quand on veut quelque chose on peut l’avoir, mais pas forcément quand on veut. Il faut savoir attendre. Être prêt. Pour en profiter pleinement. Pour nous laisser l’occasion de l’accueillir de manière juste et avec gratitude. Développer cette énergie féminine, peu présente chez moi, qui admet de recevoir et de temporiser. Merci Vie, j’ai bien reçu tous les signes, tous les messages. Merci Vie, j’ai bien compris que ça viendrait. Merci Vie, j’ai bien conscience que j’ai l’opportunité de faire les choix qui me semblent importants pour moi, en toute liberté ; que j’ai la chance de pouvoir devenir celle que je veux être sans la contrainte d’être juxtaposée au destin de quelqu’un d’autre.

Si tu veux changer le monde, fais-le pendant que tu es célibataire. Une fois mariée, tu ne pourras même pas changer la chaine de la télévision.

Capture plein écran 04052015 111309.bmp
Grande Barrière de Corail – Australie

3 réflexions au sujet de “Archéologue sous la mer”

  1. Merci ma fille. On ne sait toujours, nous les Parents, la force quasi divine que nos paroles peuvent avoir sur nos Enfants. Est-ce que mon Père, s’il l’avait su, aurait fait attention qu’elles ne soient pas toutes négatives ?

    J’aime

Laisser un commentaire